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ARTASERSE de Leonardo Vinci (1696-1730)
novembre 2012

leonardo vinci

Un des opéras les plus célèbres du XVIIIème siècle, tombé complètement dans l'oubli comme bien d'autres mais brillamment ressuscité par Fasolis et une brochette éblouissante de cinq contre-ténors et un ténor. Un véritable feu d'artifice de musique baroque, un déferlement de couleurs, de passion, d'émotions de drame et de pyrotechnie.

Même s'il fut un des grands maîtres de l'opéra baroque, la biographie de Leonardo Vinci demeure bien mystérieuse, mêlant légende, anecdote et réalité. On ne sait pas exactement ni où ni quand il est né mais ce serait vers 1696 en Calabre, à Strongoli. Un Grand d'Espagne reconnaît vite les dons du jeune Vinci et l'envoie à Naples où il entre en 1708 au Conservatorio dei Poveri di Gesù Cristo. Au terme de ses études, il devient Maître de la Chapelle de la Cour de Don Paulo di Sangro, prince de Sansevero et présente en 1719 son premier opéra, oeuvre comique en dialecte napolitain ('commeddia mmuseca'). Entre 1719 et 1724, Vinci ne composera pas moins de onze de ces comédies, toutes accueillies triomphalement. Grâce à ces succès, il pourra accéder au Teatro S. Bartolomeo de Naples où il présentera le 4 novembre 1722 sa première opera seria, Publio Cornelio Scipione. Nouveau succès, nouveau départ de carrière de compositeur dramatique cette fois, carrière qui se fera surtout à Rome (Farnace, 1724; Didone abbandonata, 1726; Catone in Utica), 1728; Semiramide riconosciuta; Alessandro nell'Indie et Artaserse, 1730) et Venise (Ifigenia in Tauride et Rosmira fedele, 1725)

Artaserse, créé au Teatro delle Dame à Rome, sur fond de compétition acharnée avec l'autre grand napolitain de l'époque, Nicola Porpora, sera le dernier feu d'artifice de Vinci. Trois mois après, Vinci mourra en pleine apothéose, à cause d'une tasse de chocolat! En tous cas, c'est ce qui se raconte: ayant eu - une fois de plus - des relations intimes avec une dame romaine de la plus haute naissance et s'étant vanté de cette liaison, Vinci dut subir la vengeance d'un proche de la dame, qui empoisonna le breuvage de Vinci, soit sa tasse de chocolat!

jaroussky
Philippe Jaroussky

 

Artaserse évoque, avec certaines libertés, un épisode dramatique de l'histoire de Perse, sur un livret du grand Métastase: les assassinats du roi Xerxès et de son fils Darius par Artaban, préfet de la garde royale, et accession au trône d'Artaxerxès.

 


Franco Fagioli - Vo solcando un mar crud - Nancy, 2012

 

L'action se déroule à Suse, dans le palais des rois de Perse. Acte I: Mandane, fille de Xerxès et soeur d'Artaxerxès, et Arbace, fils d'Artaban, s'aiment en secret, car le roi s'oppose à ce qu'il considère une mésalliance. Après avoir tué Xerxès, Artaban tente de faire croire tour à tour à Artaxerxès que c'est Darius puis Arbace qui ont tué Xerxès. Artaban s'empresse de tuer Darius sur ordre d'Artaxerxès. Quant à Sémire, soeur d'Arbace, elle est courtisée par Mégabise, général des armées, complice et confident d'Artaban, mais elle aime Artaxerxès. Après des révélations faisant état de l'innocence de Darius, c'est Arbace qui est arrêté et se retrouve face au dilemme de se disculper en accusant son père ou de se taire. Acte II: Arbace refuse de s'enfuir comme le lui suggère Artaban, Artaban qui propose à Mégabise pour garder ses faveurs la main de sa fille Sémire. Devant le conseil royal, Mandane et Sémire s'affrontent, la première pour exiger la mort d'Arbace, meurtrier de son père, même si elle en est encore éprise, la seconde pour sauver son frère. Incapable de prendre une décision, Artaxerxès laisse à Artaban la responsabilité de juger son fils. Arbace est ainsi condamné à mort. Acte III: Artaxerxès, qui n'est pas du tout persuadé de la culpabilité d'Arbace aide ce dernier à fuir. Au moment d'être couronné, Artaxerxès s'apprête à boire la coupe sacrée, qui a été empoisonnée par Mégabise sur ordre d'Artaban. Arbace arrive après avoir apaisé les rebelles et tué Mégabise qui refusait de se soumettre.

 

lanciers persans

 

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Malgré les questions d'Artaxerxès, Arbace refuse d'expliquer pourquoi il a été accusé mais accepte de boire la coupe sacrée pour prouver son innocence. Artaban se dénonce enfin et le roi accepte de renoncer à son exécution en contrepartie d'un exil. Arbace peut finalement épouser Mandane et Artaxerxès règnera avec Sémire

tombeau persan.

Avec Artaserse, Vinci a imposé «une écriture musicale, inventive, gracieuse, pleine de charme et de vivacité, soulignant les émotions et les situations dramatiques sans les écraser sous le poids d'une structure instrumentale ou harmonique trop dense» (Frédéric Delaméa). C'est une oeuvre saisissante, qui mérite mille fois sa résurrection. Il y a un rythme, une énergie, une fougue qui en font une des grandes pages de l'opéra baroque.

L'enregistrement proposé par Fasolis et ses chanteurs rend particulièrement justice à ces qualités. Le Concerto Köln et son chef ont toujours le bon tempo et l'ardeur nécessaire. Six hommes et pas une seule femme, alors qu'il y a deux rôles féminins? Plus que normal car à Rome à l'époque le Pape proscrivait que les femmes ne montent sur scène car être cantatrice et vertueuse est comme vouloir traverser le fleuve en gardant les pieds secs! Audacieuse reconstitution historique, ce mélange de voix aigues masculines, seul Artabano est interprété par le ténor Daniel Behle, donne un résultat enthousiasmant. Chaque voix, même située dans le même registre, est différente et donne un reflet très proche de ce qu'a dû être l'oeuvre à sa création. Ici, le rôle très difficile d'Arbace, créé par l'extraordinaire Giovanni Carestini, est repris par Franco Fagioli, véritable révélation du disque. Certes Jaroussky et Cencic sont magnifiques mais Fagioli s'impose clairement. On peut se demander pourquoi Jaroussky qui a enregistré tout un disque consacré à Carestini n'a pas endossé ici le rôle d'Arbace. Trop lourd, pas le rôle-titre? Qui sait. En tous cas, ce disque, splendide et à écouter d'urgence, est la promesse de soirées mémorables à Lausanne les 23 et 25 novembre prochains.

Diego Fasolis, Concerto Köln, Philippe Jaroussky (Artaserse), Max Emanuel Cencic (Mandane), Daniel Behle (Artabano), Franco Fagioli (Arbace), Valer Barna-Sabadus (Semira), Yuriy Mynenko (Megabise), 2012, Virgin Classics (3 CD)

franco fagioli
Franco Fagioli


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